La nouvelle loi sur les congés payés : entre stabilité et complexité 

Le 7 décembre 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en son article 31 consacrait le fait que « tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés ».

Mise à jour au 19 juin 2024 :

Le projet de loi de simplification de la vie économique présenté par le Gouvernement au Sénat comportait un article 7 relatif à la simplification du bulletin de salaire. Lors de son examen en Commission spéciale, le 28 mai dernier, cet article a été supprimé par ladite Commission.
En effet, dans son rapport n°637 du 28 mai, la Commission estime que : « le dispositif proposé [a] été unanimement critiqué par les organisations syndicales et patronales qui ont insisté sur le fait qu’il n’apportait aucune simplification pour les employeurs.

Rédigé le : 21/05/2024

En 2003, par sa Directive du 4 novembre, la même Union européenne, renvoyait aux Etats membres le soin d’assurer le bénéfice de quatre semaines annuelles de congés payés à « tout travailleur ».

Restait à ce que les Etats membres transposent, effectivement, dans leur droit interne, lesdites dispositions européennes.

 

Quel était l’état du droit français face à ces dispositions européennes ? 

Congés payés et arrêt de travail pour maladie avant le 13 septembre 2023

Le code du travail ne permettait pas aux salariés en arrêt maladie non professionnelle d’acquérir des congés payés pendant la suspension de leur contrat, alors que cela était possible – dans la limite de 12 mois – pour des salariés en arrêt suite à un accident ou une maladie professionnelle.

Moult contentieux eurent lieu, et certains n’hésitèrent pas à invoquer les dispositions européennes qui étaient manifestement contredites par notre droit interne… sans succès jusqu’au 13 septembre 2023.

Congés payés et arrêt de travail pour maladie depuis avril 2024

Par une salve de quatre arrêts, la Cour de cassation, à l’aune des dispositions européennes précitées, viendra mettre le droit français face à ses contradictions : en écartant l’application des dispositions du Code du travail précitées au profit de celles européennes, la Haute juridiction venait de signifier au pouvoir législatif qu’il était grand temps de réagir.

Ce sera chose faite au mois d’avril 2024, de manière fulgurante au regard de l’antériorité du sujet : par le truchement de la loi DDAUE (Divers Dispositions d’Adaptation du Droit de l’Union Européenne), un amendement sera déposé à l’Assemblée nationale le 18 mars, puis débattu en CMP (Commission Mixte Paritaire) le 4 avril, donnant lieu à un texte adopté le 10 avril, pour une promulgation au Journal officiel du 23 avril… !

En à peine plus d’un mois, le sort de nos congés payés version « 2.0 » venait d’être scellé.

 

Doit-on être rassurés que l’Etat français ait légiféré au regard des dispositions européennes ? 

Effectivement, il était souhaitable que le pouvoir législatif vienne mettre nos dispositions internes en conformité avec le droit européen.

Cela était, déjà, nécessaire avant l’intervention de la Cour de cassation : rappelons que la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) avait déjà condamné plusieurs états – dont la France – en raison de cette non-conformité.

Mais cela était devenu d’autant plus urgent et inexorable depuis les quatre arrêts de septembre 2023. En effet, le justiciable se retrouvait ainsi dans une situation d’insécurité juridique, placé entre le « marteau » des dispositions du Code du travail contraires au droit européen, et l’ « enclume » des arrêts de la Cour de cassation… s’en étaient suivies des prises de positions stratégiques mais aléatoires du côté employeur, par le biais de leurs conseils juridiques (provisions ? combien ? décomptes ?) et des débuts de contentieux plus ou moins opportunistes de la part de salariés perdus dans les méandres de ce droit franco-européen.

 

Quelles sont les conséquences pratiques de cette nouvelle loi  (rétroactive) pour les employeurs ? 

Rappelons donc brièvement les grandes lignes de cette nouvelle loi :

  • Acquisition de 2 jours de congés payés pendant les arrêts de travail non professionnels avec un maximum de 24 jours ouvrables en cas d’arrêt de travail pendant toute la période de référence ;
  • Suppression de la limitation à 12 mois pour l’acquisition des congés payés d’un salarié en absence pour accident du travail ;
  • Instauration d’une période de report pour prendre les congés acquis pendant la période de suspension du contrat : délai de 15 mois qui commence à courir à compter de la notification, par l’employeur, au salarié reprenant le travail, d’une note informative sur le nombre de congé à prendre et ladite période de 15 mois.
  • Rétroactivité de la loi au 1er décembre 2009.

Donc, beaucoup de vérifications et nouvelles manipulations à effectuer pour les employeurs, à la fois pour prendre « le pas » sur la période courante, mais, également, pour régulariser l’antériorité.

Ces changements obligeront donc les employeurs à gérer de nouveaux compteurs de solde de congés payés, à vérifier l’alimentation de ses soldes et à communiquer via le bulletin de paie ou un autre vecteur auprès de leurs salariés au mois le mois.

Les 15 années de rétroactivité obligeront les employeurs à reparcourir d’anciens bulletins de paie pour déterminer le solde éligible par périodes passées pour chacun de leurs salariés.

 

La tendance est à la simplification, selon les dernières annonces du gouvernement, et, notamment, du ministre de l’Économie. Dans ce contexte, cette nouvelle loi ne va-t-elle pas à contre-courant ? 

Effectivement, cette « mise en conformité » de notre droit interne concernant les congés payés semble s’opposer à la simplification administrative recherchée par le gouvernement, en tête, celle de la simplification du bulletin de salaire. Alors qu’il est annoncé une diminution des lignes du bulletin de salaire, l’application pratique de la loi nouvelle va engendrer l’ajout d’informations supplémentaires sur ce même bulletin :

  • De nouveaux compteurs en complément de ceux existants dans une partie du bulletin de paie déjà à saturation pour la majorité des employeurs.
  • Selon les circonstances, information à donner au salarié concernant l’acquisition des jours congés  au titre de la maladie, et ce après chaque arrêt maladie avec le bulletin comme vecteur ou un courrier annexe. Ainsi que les éventuels délais de prise associés au congés payés.

Sans compter les différents calculs qui vont devoir être effectués en application de la rétroactivité prévue au 1er décembre 2009…

 

Au final, il est évident qu’une légifération en matière de congés payés devait intervenir, et était particulièrement attendue par les professionnels du droit et de la paie. Toutefois, on ne peut que regretter que celle-ci soit intervenue de manière précipitée, sans réelle concertation avec lesdits professionnels.

Cela est à mettre en parallèle avec les récentes annonces concernant, nous l’avons évoqué plus haut, la simplification du bulletin de salaire. Si l’esprit de simplification ne peut qu’être loué et encouragé, eu égard au corpus réglementaire concernant la gestion RH au sens large qui avoisine les 25.000 articles, il convient, néanmoins, de prudence garder.

Les professionnels de la paie et du droit, pour pratiquer ladite norme au jour le jour, savent pertinemment qu’une simplification de forme ne permettra pas de rendre la règle plus « digeste » ou facile à appliquer. D’autres pistes peuvent être explorées pour alléger ce fardeau, comme retravailler pour les unifier les assiettes des cotisations ou rationnaliser l’encadrement des diverses exonérations, par exemple…

En tant qu’éditeur de logiciel spécialisé dans la paie et la gestion RH, nous avons également une responsabilité à jouer et notre pierre à ajouter à l’édifice. Nous serons toujours à la disposition du pouvoir législatif et normatif pour amener notre contribution à l’élaboration de lois novatrices et simplificatrices, sécurisantes pour le justiciable, et faisant sens pour le praticien du droit et de la paie.

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